jeudi 29 septembre 2016

Le noir est une couleur, Grisélidis Réal








« Cette histoire est écrite à la mémoire et à la gloire de Rodwell, mon amant noir qui vit à Chicago dans la Michigan Avenue, au quartier nègre. 

"En Amérique, dit Rodwell, on tue nos âmes."

La paix soit à son corps, et que l'épargne au sein des émeutes le délire imbécile et jaloux des Blancs à tête de singe.

Que son grand sexe velouté, que j'ai tenu dans mes mains blanches, pareil à un lys noir tressaillant, fasse crier d'amour les négresses luisantes, et qu'il dresse leurs seins comme des lunes de bronze.

Car je marcherais pieds nus à travers toute la terre, je sentirais avec délice les épines s’enfoncer dans ma chair, les sables me brûler et les cristaux de neige m'écorcher comme des couteaux, si je pouvais sentir encore en moi sa tige de feu me défoncer le ventre, tornade brûlante de l'amour noir.

Oui, nous nous sommes aimés, nous nous sommes drogués, nous nous sommes anéantis dans les cris rauques du jazz. Je suis vide. Ton absence m'est la plus précieuse. Ta chair bleuit le soir à ma fenêtre et s'assombrit tout entière, refermant sur moi sa coupole constellée de sueurs d'or. Je suis toi. Je n'ai pas d'autre chant que ton nom sur mes lèvres. »


Voici une des plus belle lettre d'amour qui vous sera donnée de lire.
C'est Grisélidis et Rodwell. C'est un amour. C'est le seul fruit qui protège l'arbre.
Grisélidis Réal, peintre, écrivain, prostituée. Mère de quatre enfants. Une princesse tzigane. 





Une reine. Pas une sainte. Ah ça non !!!  , sans doute se serait- elle écriée.
 Une femme du genre... rebelle. 
Hors la loi, pour ceux qui écrivent les lois. 
Elle , comme Libre pour ceux qui suivent les étoiles. 
Je repense aux saintes du scandale d'Erri de Luca.
Il y a un peu de ça je crois. 
Païenne, profane, une âme, une force animiste, une source. Quelque chose de tellurique, d'ancestrale, de tribal. 

Grisélidis est une femme mythique. Belle, flamboyante, extravagante, espiègle, rusée, bouleversante, une femme louve, une mère lionne. 
Oui elle se prostitue, et le revendique dans ce Munich d'après guerre, dans cette Europe ravagée, dans ce pays de nuit et de brouillard, elle danse, elle jazz, elle aime, elle accueille dans son ventre toutes les fleuves, tous les torrents, toutes le larmes. 

Elle sait le froid, le manque, elle sait la solitude, elle sait le partage, la peur, et l'innocence.  Elle sait la colère, l'injustice. 

Elle ne ment pas, ne vole pas, ne fais de mal à personne. Elle défend celle ou celui qui doit être défendu., peu importe son statut. Toute sa vie elle défendra les droits des prostituées. Elle connaissait cet enfer, elle combattait l'hypocrisie d'une société soumis à l'ordre religieux et bourgeois.

On la montre du doigt. On la croit perdue, incurable, incapable, de si basses vertus. 

Et elle vit, elle crée, elle vit, elle résiste. 

Elle marche sur le trait. «  Un trait, une corde, une ligne de douleur qui parcourt le monde et sur laquelle nous marchons toutes. Une sorte d'équateur invisible, qui traverse la terre et nous écorche les pieds et l'âme. "

Auf den Stricht.

Dans ce monde capable d'exterminer des êtres humains, elle vit en choisissant son chemin, en choisissant de vivre parmi ceux qu'elle a choisi pour être siens. 

Ceux dont le «  coeur faisait fondre l'hiver ».

«  Sonja, le son de ta voix rocailleuse résonne à mon oreille, ton sourire est en moi, il m'habite. Ton ventre tant de fois gonflé et brûlé par les mater,ités et ls maladies, sous son petit tablier, c'est le ventre de toutes les femmes tziganes déportées dont les noms oubliés sont chuchotés aux portes des anciens camps, sur les chardons, les pierres et les vieux barbelés enfoncés dans le sol des terrains vagues, les soirs de grand vent ».

Celles et ceux qui n'ont qu'un seul pays, qu 'une seule patrie, qu'une seule identité  : l'humain. L'humain avant tout. 

«  Moi, je suis de race gitane.J'aime la nuit et son haleine invisible qui donne à l'univers son espace sans limites. » 



 C'est une écriture, objet de  littérature. Une relle écriture. 
C'est un témoignage,aussi,  un récit autobiographique. C'est également la radioscopie de cette société qui après guerre alors que le monde avait basculer dans la barbarie, alors qu'il venait d'en sortir et cela de justesse, ce monde n'avait de cesse que de reprendre ses méchantes habitudes. Dicter sa morale, ses lois, interdire, enfermer, surveiller, ficher, dénoncer, cadenasser, .

Un monde avec des armées, ses polices, ses prisons et sa morale , un monde qui n'avait rien compris à ce qui s'était passer. Un monde incapable de retenir la moindre leçon et qui se précipitait à en redonner et cela même devant les charniers qu'il avait lui même dressé. Un monde qui n'en finira jamais de dresser des murs. 
 Un monde qui ne cessait de vouloir recommencer. Car si la prostitution est un délit, la guerre elle est un crime contre l'humanité. 
Les putes ont les jettent en prison, les généraux on les décorent. Chercher l'error mon « saigne-or »….

Soyons conscients comme l'était Victor Hugo  que «  La misère offre, la société accepte ».
La société est grosse et pleine de ses propres délits. Ici les clients sont aussi les marchands.

Alors oui elle est belle. Son écriture est belle. Parce qu'elle est vraie.
Sa peinture nous parle. Elle nous parle de la nuit, de la première nuit, de la première étoile.
Grisélidis Réal est enterrée au cimetière des Rois à Genève. 
Certains rois ont à présent une Reine.









Astrid Shriqui Garain, 09.2016, lecture.

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